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Avant-propos

 

Après la défaite de la France durant la deuxième guerre mondiale et surtout après le débarquement des anglo-américains en Afrique du nord, le nationalisme se développa très rapidement. Au début de 1943, le « manifeste du peuple algérien » demanda, pour la première fois officiellement la constitution d’un état algérien autonome. Le général de Gaulle y répondit en mars 1944, en accordant les droits de citoyenneté à toute l’élite algérienne, et en abolissant toutes les mesures d’exception visant encore les musulmans. C’était réaliser trop tard la politique d’assimilation que continuaient à combattre les Européens et que rejetaient les nationalistes algériens. A partir de 45, les « français d’Algérie » s’opposeront avec constance à l’évolution politique du pays et se heurteront à un nationalisme qui sera lui-même radicalisé par sa base paysanne. Ce sont les débuts de la formation du FLN (Front de Libération Nationale).

 

 

Le réalisateur 

 

 

Gillo Pontecorvo naît à Pise en 1919. Pendant la seconde guerre mondiale, tout en suivant des études de chimie, il travaille comme journaliste et messager pour le parti communiste italien. Il participe à un réseau de partisans antifascistes et prend pour nom de guerre Barnaba. Une fois la paix signée, il devient correspondant à Paris de plusieurs journaux italiens. C’est alors qu’il voit le film Paisa de Rossellini et, aussitôt, abandonne son métier de journaliste, achète une caméra et commence à tourner des courts métrages documentaires.

 

 

Synopsis

 

 

A travers l’histoire d’Ali la pointe, c’est toute la bataille pour le contrôle de la casbah d’Alger, au début de la guerre, qui fait l’objet du film.

 

 

La fiche technique du film


 

Réalisation : Gillo Pontecorvo/ Scénario : Gillo Pontecorvo et Franco Solinas/ Musique : G.Pontecorvo et Ennio Morricone/ Photographie : Marcello Gatti/ Production : Italo-algérienne/ Interprétation : Brahim Haggiag – Saadi Yacef – Jean Martin

 

 

Introduction


 

En 1966, arrive sur les écrans La Bataille d’Alger. Le public français n’était pas près pour accueillir cette œuvre radicale, bousculant les tabous liés à cette « guerre sans nom ». Le film fut censuré par le gouvernement français pendant 40 ans. Le film a été tourné trois ans après les évènements et a fait l’effet d’une bombe dans le paysage cinématographique de l’époque. Film révolutionnaire tant par le fond que par la forme, La Bataille d’Alger est ressortie en salle en 2003. Quarante ans après, ce film « scandale » n’a rien perdu de sa force et il est intéressant d’interroger ce film de nos jours, époque où la France commence lentement à regarder son passé et ses erreurs. D’où le film tient-il sa force ? Sans doute de son caractère réaliste et sans concession sur le rôle qu’a pu tenir la France durant cette bataille.

 

 

Problématique

 

 

Comment Gillo Pontecorvo, par le biais du réalisme et du didactisme, arrive t-il à apporter un regard original sur le conflit que fut la guerre d’Algérie ?


 

I/ L’effet de réel dans La Bataille d’Alger


 

A/ Les acteurs

 


Les 138 rôles du scénario furent tenus par des acteurs non-professionnels excepté celui du colonel Mathieu interprété par Jean Martin. Tous les autres participants ont de près ou de loin été mêlés aux évènements de 1957. Brahim Haggiag dans le rôle titre d’Ali la pointe à fait parti du FLN en tant que chef d’une section armée et Saadi Yacef, qui est l’inspirateur du scénario, était quant à lui un des membres les plus influents du front. La plupart des figurants ont été recrutés dans les rues d’Alger et bon nombre d’entre eux ont participé à l’effort de guerre dans les deux camps.

 

Gillo Pontecorvo expliquait dans un article de l’Humanité qu’il avait été le témoin de nombreux malaises parmi les figurants. En effet, lors du tournage de la séquence de l’attentat dans le café, deux jeunes femmes se sont évanouies. L’une d’elles avait perdu son mari dans un attentat du même type. Brahim Haggiag bien que non-professionnel, illumine le film de sa présence toute en rage retenue. Dans une scène, il descend les escaliers délabrés de la casbah suivi d’une foule révoltée. Son regard de feu s’explique par le fait qu’il avait vécu la même scène peu de temps auparavant. L’effet cathartique amplifie l’impression de véracité qui découle de cette séquence. D’ailleurs, la plupart de ces non-professionnels ont servi de conseillers techniques pendant le tournage.

 

Le seul acteur du film est Jean Martin. Son rôle de colonel parachutiste aux prises avec les exactions du FLN est joué avec un naturel déconcertant. Cet homme froid, incarnant la rigidité militaire dans tout ce qu’elle a d’absurde apporte au film une autre forme de crédibilité. Celle d’un homme de guerre qui ne fait que son métier, sans se poser de questions d’ordre éthique.

 

 

B/ L’image


 

Le travail sur la photographie est un élément constitutif de l’œuvre. Le cinéaste et son directeur de la photographie (Marcello Gatti) ont retravaillé en laboratoire la pellicule du film pour que celle-ci ressemble à l’image télévisée de l’époque ou à celle des grands reportages des hebdomadaires. Dans un noir et blanc somptueux, l’image ainsi retouchée provoque une immersion totale.

 

La qualité des images propre aux documentaires induit de manière implicite la sensation de réel. Nous ne sommes pas en face d’une image léchée comme peut l’être parfois celle des films Hollywoodiens. Au contraire, le grain de l’image semble réagir en fonction de ce que filme le cinéaste. Lors d’une explosion au milieu du film, l’image se brouille, comme si la pellicule avait ressentie le souffle de chaleur de la bombe artisanale. En tournant ce film, Pontecorvo exerçait selon ses termes, une véritable dictature de la vérité. Le travail de la photographie propre à La Bataille d’Alger est un des piliers fondamental de ce totalitarisme de la véracité.

 

 

C/ La mise en scène

 

 

Filmé caméra à l’épaule dans la casbah d’Alger, le film tient presque du reportage d’investigation. Le cinéaste filme au plus près les déambulations des personnages. Le rythme est haletant, le spectateur à la sensation d’assister à ces scènes en direct. Il y a comme un véritable désir d’urgence d’enregistrer les battements du cœur de la casbah. Le langage cinématographique utilisé par Pontecorvo est simple et presque élémentaire. Il s’agit de filmer les faits tels qu’ils se sont réellement déroulés. Dans sa mise en scène, il n’y a pas de place pour le pathos et la psychologie des personnages. Le réalisateur capte leurs émotions dans l’instant, elles sont brutes comme peuvent être des réactions humaines dans un conflit de ce genre.

 

Pontecorvo tente de restituer la situation avec une objectivité absolue. Pour cela, la structure du film a un traitement particulier. Avec un montage sec et nerveux, le film progresse en affichant à l’écran les dates et les heures exactes durant lesquelles les faits se sont déroulés dans la réalité passée. Le réalisateur n’oublie pas pour autant l’aspect artistique de son œuvre. Dans La Bataille d’Alger, la simplicité de certaines prises de vues vient côtoyer des plans d’une grande beauté, tel ce gros plan d’un visage tétanisé d’un algérien qui vient d’être torturé.

 

Le cinéaste s’attarde sur les détails qui ont pour but de créer de la vérité dans la fiction. Tout comme Bresson qui filmait l’évasion minutieuse d’un prisonnier, Pontecorvo s’attache ici à montrer au spectateur comment les soldats français opéraient pour démanteler les groupuscules terroristes dans la casbah. Afin d’alimenter son choix de vérité, le cinéaste utilise la voix-off. Le spectateur peut entendre les informations françaises qui passaient sur les ondes à cette époque. Ce procédé ingénieux vient une nouvelle fois appuyer l’aspect réaliste de l’œuvre.

 

Le réalisateur utilise le plan séquence lors des scènes de guérillas urbaines. Ce langage cinématographique a comme finalité d’immerger l’action dans un contexte de réel. Pontecorvo l’utilise avec virtuosité et confirme la cohérence de sa mise en scène avec le propos du film tant dans le fond que dans la forme.

 

La casbah est un véritable labyrinthe et la fluidité de la mise en scène nous permet d’en déceler ses avantages et ses inconvénients dans un contexte de guerre. Le cinéaste filme la misère d’un peuple qui n’a plus que la violence pour s’exprimer, on s’en aperçoit avec la scène où des enfants passent à tabac un clochard en le rouant de coups de pieds et en le faisant dévaler dans les escaliers à moitié mort. La compassion disparaît dans un climat oppressant qui est celui de la guerre et de la pauvreté. Cette scène fait écho à la violence dont font preuve les enfants de Los Olvidados dans le film de Luis Buñuel.

 

La réalisation fait preuve d’une réelle objectivité, sans manichéisme, elle s’attache à reconstituer le point de vue Algérien et le point de vue Français sur ces évènements.

Par la durée des plans, Pontecorvo parvient à saisir l’égarement dans lequel se trouvent l’armée française qui n’a pas et n’a plus sa place dans ce pays. Le cinéaste maîtrise également l’art du suspense, lorsqu’il filme le visage des français d’Algérie dans le café que va bientôt faire exploser le FLN. Une certaine lenteur s’installe, l’ambiance sereine va brutalement se métamorphoser en horreur, avec les corps maculés de sang des clients qui déambuleront comme des fantômes abasourdis par l’onde de choc.

 

 

II/ Un souci de vérité et d’objectivité


 

A/ Le travail de préparation


 

Avant le tournage, Gillo Pontecorvo et son scénariste Franco Solinas se sont livrés à un important travail de préparation en Algérie comme en France où ils ont interrogé pendant de longs mois des gradés de hauts rangs pour avoir leur point de vue. Ce fut un travail de longue haleine. Comme le film a été tourné peu de temps après la guerre, les langues étaient difficiles à délier. Le cinéaste et son complice se sont installés pendant trois mois à Alger afin de capter l’atmosphère de l’après guerre.

 

Le film traite également de la torture, et il a été malaisé d’interroger les victimes encore traumatisées par ces méthodes d’une rare inhumanité. Pour que la parole puisse accoucher sans douleur, il a fallu prendre son temps, faire connaissance avec les algériens pendant de longues semaines. C’est un travail de journaliste et un travail de psychologue qu’ont entrepris les deux artistes. En étant sur le terrain, ils ont pu également faire les repérages des sites ou les scènes pouvaient être tournées. Véritables enquêteurs animés par le désir d’authenticité, le cinéaste et son scénariste ont intégralement retranscrit les propos recueillis dans un souci d’objectivité et de didactisme. D’ailleurs, toutes les recherches effectuées depuis cinquante ans sur ce conflit viennent confirmer tous les détails de ce film.

 

 

B/ Les lieux de tournage

 

 

Le film puise son aspect de réel dans le fait que La Bataille D’Alger a été tourné sur les lieux même de cette guerre. On voit souvent à l’image des immeubles détruits et des bâtisses éventrées à la suite des attentats du FLN et des descentes musclées des soldats français, sans aucune reconstitution, car les maisons explosées sont celles qui ont subi les vrais attentats.

Une des forces du film vient de ses décors naturels en extérieurs, ces derniers viennent une nouvelle fois renforcer l’aspect documentaire du film. Les rues de la casbah étaient encore criblées de balles, les techniciens ont même retrouvé des cartouches utilisées par l’armée française à même le sol bien après les guérillas. Pontecorvo a utilisé au maximum les stigmates du passé qui imprégnaient alors la casbah. Les cachettes et les itinéraires pris par les membres du FLN pour échapper à l’armée sont les mêmes qu’ils utilisaient en temps de guerre.

 

 

III/ La volonté d’informer


 

 

A/ L’aspect pédagogique et informatif du film


 

La guerre d’Algérie a été surnommée « la guerre sans nom » par le peuple français. Véritable amnésie de l’histoire voulue par le gouvernement en place à l’époque, le réalisateur a œuvré dans un but instructif afin d’éclairer la conscience collective. Très vite après la fin du conflit, des documents à charge ont subitement disparu, les tabous se sont mis en place. On peut souligner le courage et l’intelligence de Pontecorvo d’avoir mené a bien son projet. Le film devient alors un acte politique et dépasse le cadre du cinéma en tant que divertissement.

Cette guerre est absente des manuels scolaires depuis des années, les documentaires sur ce sujet ne sont pas légions, on remarque donc la véritable volonté pédagogique et informative du film. Le film ne s’attache qu’aux faits, et comme on l’a stipulé plus haut, la structure et l’esthétique de La Bataille d’Alger est proche du documentaire. Ce format a comme valeur principale son didactisme et il en va de même pour ce film. Pour illustrer ce propos, il est intéressant de souligner qu’en 2003, le métrage (qui est considéré aux Etats-Unis comme un modèle d’enseignement sur la guérilla urbaine) a été projeté au Pentagone à Donald Rumsfeld et aux hautes instances dirigeantes militaires de ce pays dans le but de les informer sur les agissements des rebelles Irakiens. C’est un film qui est aussi utilisé pour la formation à la torture dans certains pays. On remarque qu’un film pacifiste peut être détourné et servir des hommes de guerres.

 

 

B/ L’effet sur le spectateur


 

Avec ce film, le spectateur n’a pas d’autre choix que de se sentir concerné, comme il peut l’être lorsqu’il regarde un film sur des évènements qui se sont déroulés près de chez lui ou comme s’il était dans la rue à ce moment là. L’objectif de Pontecorvo est que le spectateur ait en sortant du cinéma une vision claire, articulée en images de ce que furent ces semaines de bataille pour l’indépendance d’un peuple, non comme une accumulation de scènes de guérillas, mais vu d’en haut, du haut de la stratégie de l’état-major français. Le spectateur saisit alors le plan d’ensemble et la stratégie des deux parties. Il peut enfin se saisir d’informations longuement cachées et peut enfin regarder un pan de l’histoire de son pays avec objectivité.

 

 

Conclusion


 

A travers le personnage d’Ali la pointe, Pontecorvo filme un héros collectif, explore l’histoire d’un cœur. La Bataille d’Alger est un film qui fait partie de la mouvance des films engagés comme il en existait dans les années 60. La Bataille d’Alger est de la race des films à part dont les convictions se transforment en action. Son œuvre de « fiction-réaliste », ainsi que la position qui y est prise est foncièrement humaine. C’est à ce moment que le cinéma frôle la vérité. C’est un regard original sur la guerre que nous propose Pontecorvo ; original premièrement, au sens littéral du terme car c’est le premier film de l’histoire sur la guerre d’Algérie. Original deuxièmement, car on n’avait jamais assisté à une reconstitution si admirable d’authenticité pour un film de guerre. Le film fait désormais office de document historique.

 

Bibliographie

 

Encyclopédie Universalis, (1975), Villeurbanne, Maury.

GOUDET, Stéphane, 50 ans de la revue Positif, (2002), Bussière, Folio éditeur.

RAPP, Bernard, Dictionnaire des films, (1999), Manchecourt, Maury Eurolivres, collection In Extenso.

Article du journal l’Humanité (le nom du journaliste n’était pas crédité dans les documents)

 

 

Bande Annonce :

 

 


 

 

 

 

Tag(s) : #LES DOSSIERS DU PATRON (analyse de films)
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